Comment Faire Une Coupe En Sifflet

Dans le cadre du Festival d'Automne, Sylvain Creuzevault présente une adaptation des Démons de Dostoïevski. Après Faust et Le Capital, Sylvain Creuzevault reste aimanté par la lente bascule du XXème siècle, cette longue période où se croisent dans l'incandescence de leur succès socialisme, athéisme et libéralisme en train de façonner le nouveau monde sur fond de nihilisme d'expression parfois violente qui ronge l'ancien. Les Démons, c'est cette fresque politico-sociale de la Russie des années 1870 où s'affrontent les jeunes et les anciens, les progressistes et les conservateurs dans un pays où pointe déjà l'écroulement d'une société qui laissera place à la révolution de 1917. Bakhtine en a fait un modèle du roman pour sa plurivocité, cet entrecroisement de subjectivités posées sur le monde, portées par les personnages, qui rendent compte du réel dans sa complexité sans qu'on devine où se tient la pensée de l'auteur. Une adaptation qui se fait au plateau Que faire alors d'une telle œuvre, fleuve, où se superposent avec une telle densité les actions et les personnages?

  1. Les démons sylvain creuzevault 18
  2. Les demons sylvain creuzevault

Les Démons Sylvain Creuzevault 18

Les personnages interprètent des étudiants qui tagguent des slogans sur des panneaux avant de danser alors que résonne de la musique techno abrutissante. Un peu plus tard, la fameuse fumée des fumigènes envahit l'espace scénique et les gradins, plongeant le public dans les ténèbres de l'incendie avec pour seule voix, celle de Nicolas Bouchaud. Si le symbole est limpide, cette facilité de scénographie aurait pu être évitée. Heureusement, cette deuxième partie prend sens et dévoile le cœur politique du texte de Dostoïevski. Réunion d'un groupe contestataire, nihilisme, amorce d'une révolution, assassinat, suicides et religion. Les démons sont lâchés et la fresque théâtrale raconte l'Histoire avec un grand « H » tout en résonnant avec l'actualité. Car la pièce, finalement, critique toutes les formes d'idéologies ici symbolisée par la grande croix orthodoxe en glace qui fond lentement au-dessus du plateau. Alors oui, grâce au collectif, le temps s'est (un peu) arrêté aux Ateliers Berthier.

Les Demons Sylvain Creuzevault

Leur liberté de jouer et de sortir de leur rôle pour en endosser un autre ainsi que la place laissée à l'improvisation malgré un texte puissant – qui permet de saupoudrer d'humour le sinistre des thèmes abordés – mettent en lumière cette talentueuse distribution. Les Démons, mis en scène de Sylvain Creuzevault © DR Compagnie Sympathy for the devil Les lumières des Ateliers Berthier illuminent la scène et les gradins où les comédiens distribuent des flûtes de champagne. Quelques spectateurs sont mêmes invités à s'asseoir sur le plateau où des chaises en bois sont placées à Cour et à Jardin. Pendant que Nicolas Bouchaud offre à boire, un homme et une femme dansent à moitié nus en fond de scène avant de se vêtir tandis qu'un autre chantonne les paroles de Sympathy for the devil des Rolling Stones. Certaines paroles prédisent d'ailleurs les futurs évènements de la Révolution russe: « Stuck around St. Petersburg, when I saw it was a time for a change, killed the Tzar and his ministers, Anastasia screamed in vain / J'étais dans les parages de Saint-Pétersbourg, quand j'ai vu qu'était venu le temps du changement, j'ai tué le Tsar et ses ministres, Anastasia criait en vain ».

Qu'à trop le malmener, il l'outrage, voire le blasphème, à coups d'insertions contemporaines – il est question du glyphosate – ou d'impuretés textuelles qui n'ont plus rien d'originelles – un brillant pamphlet d'Adorno surgit dans le flux des discours. Ils n'auront pas complètement tort, mais pas vraiment raison non plus. La scène est bien vite saccagée par une troupe d'acteurs en sueur qui se démultiplient pour passer, sans temps mort, d'un rôle à l'autre L'outrage, ici, est hommage. Et cette cavalcade anxieuse que mène à cru Sylvain Creuzevault sur l'échine d'un texte privé de sérénité nous est restituée avec netteté. Elle n'a rien à envier à la lumière blanche des néons suspendus au-dessus d'un plateau brut de décoffrage. En guise de matériaux scénographiques, de l'eau en abondance, du bois, du vrai et du faux béton, du plastique. L'ensemble est bien vite saccagé par une troupe d'acteurs en sueur qui se démultiplient pour passer, sans temps mort, d'un rôle à l'autre. Il vous reste 47.